vendredi 8 mai 2020

Politique : L'intellectuel Camerounais Achille Mbembé accusé d'antisémitisme

L’intellectuel camerounais de renommée mondiale Achille Mbembe est au centre d’une violente polémique.

Sa participation à l’événement culturel de la Ruhrtriennale – prévu en Allemagne cet été et annulé depuis pour cause de coronavirus – a été contestée par Lorenz Deutsch, le porte-parole de la politique culturelle du groupe parlementaire FDP (Parti libéral-démocrate) au Parlement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, et ensuite par le Commissaire du gouvernement fédéral pour la lutte contre l’antisémitisme, Felix Klein.

Selon le député Lorenz Deutsch, l’essayiste Achille Mbembe, professeur d’histoire et de science politique à l’Université de Witwatersrand, à Johannesburg (Afrique du Sud), et professeur invité au département d’études romanes de la Duke University, aux États-Unis, a fait preuve d’antisémitisme en écrivant dans son ouvrage Politiques de l’intimité, paru en 2016, que la politique de colonisation d’Israël « rappel[ait] à certains égards » le système de l’apartheid en Afrique du Sud.

L’historien et philosophe né au Cameroun en 1957 est connu en Allemagne : il a été honoré à plusieurs reprises comme un éminent penseur du postcolonialisme.

En 2015, il a reçu le prix Geschwister-Scholl pour sa Critique de la raison noire et, en 2018, la ville de Ludwigshafen l’a honoré comme « l’un des penseurs les plus importants du continent africain » en lui décernant le prix Ernst Bloch. Cette même année, la Fondation Gerda Henkel lui a octroyé une distinction pour ses « réalisations de recherche exceptionnelles ».

« Campagne de diffamation »

Cela n’a toutefois pas dissuadé le Commissaire du gouvernement fédéral pour la lutte contre l’antisémitisme d’appuyer les attaques du député Lorenz Deutsch, qualifiant le parallèle entre la colonisation israélienne et l’apartheid comme faisant partie d’« un schéma antisémite bien connu », tout en affirmant que Mbembe « remet[tait] aussi en question le droit d’Israël à exister ».

Réagissant sur les colonnes du magazine Jeune Afrique, l’intellectuel camerounais s’offusque : « En découvrant ces attaques, j’ai cru que j’allais vomir, littéralement. Puis j’ai pensé qu’il s’agissait d’un canular. »

« Aujourd’hui, [Mbembe] ne décolère pas face à ce qu’il qualifie de ‘’campagne de diffamation’’. Il affirme même que, la polémique prenant de l’ampleur, il a été la cible de menaces et d’insultes à caractère raciste », écrit Jeune Afrique. 

« Klein s’exprime à partir d’une position d’autorité, mais sur la base d’une ignorance totale des débats académiques », déclare encore l’auteur du très remarqué essai De la postcolonie au magazine panafricain.

« Tout ce que j’ai écrit ou dit repose sur un seul fondement, à savoir l’espoir dans le développement d’une communauté véritablement universelle, dont personne n’est exclu », écrit le philosophe dans une réponse détaillée parue dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit le 23 avril.

Il précise que pour lui, l’antisémitisme est « un crime terrible ». Mbembe affirme aussi qu’il ne banalisera jamais l’Holocauste ni assimilera le meurtre de masse de juifs à l’apartheid en Afrique du Sud. 

Le 1er mai, plusieurs artistes et chercheurs, notamment des spécialistes des études sur l’antisémitisme et l’Holocauste, y compris israéliens, ont appelé le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, à démettre Felix Klein de son poste de Commissaire du gouvernement fédéral pour la lutte contre l’antisémitisme.

« Tenter de présenter le professeur Mbembe comme un antisémite est sans fondement, inapproprié, offensant et nuisible », écrivent les signataires de cet appel.

« Nous voulons être très clairs : une telle étude n’est pas une banalisation de l’Holocauste et certainement pas de l’antisémitisme. Elle est légitime, essentielle et en fait courante dans les études sur l’Holocauste et le génocide. »

Les signataires précisent que quelque 600 éminents spécialistes de l’Holocauste ont récemment affirmé que l’interdiction des analogies du débat sur l’Holocauste était « une position radicale très éloignée du courant dominant sur l’Holocauste et le génocide », avertissant que cela contribuait à rendre « l’apprentissage du passé presque impossible »

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